Regarder maintenant: « l'Envol » avec Katherine Choong
Katherine Choong, la première Suissesse à gravir une voie cotée 9a, a trouvé un nouveau défi à sa hauteur. Il s’appelle « Fly », mesure 550 m, est composé de 20 longueurs de corde, dont les trois plus hautes sont de difficulté 8b, 8c et 8b+, et se situe dans la vallée de Lauterbrunnen, en Suisse. Le film de Katherine, « L’envol », raconte comment l’athlète grimpe jusqu’à la limite de ses capacités mentales et physiques, et quels défis et moments de bonheur procure une cordée avec son propre partenaire.
Un tĂ©moignage personnelÂ
Pratiquant l’escalade depuis une vingtaine d’annĂ©es en couenne et en compĂ©titions, j’avais besoin de nouveaux dĂ©fis. C’est pourquoi en 2021, j’ai commencĂ© Ă m’attaquer Ă des grandes voies difficiles. En 2023, après en avoir enchaĂ®nĂ© plusieurs dont « Hattori Hanzo » 8b+ max. (280m) et « 6.4 Sekunden » 8b/+ max. (170m), je me sentais prĂŞte Ă enfin tenter l’impossible : Fly.Â
Regarder le film :
Katherine Choong tentant l’ascension de la grande voie Fly (8c, 550 m) dans la vallĂ©e de Lauterbrunnen, en Suisse.Â
Ce que j’aime en falaise, c’est qu’il n’y a pas de place pour la compĂ©tition. Le challenge est uniquement de se surpasser et de donner le meilleur de soi. Ressentir son corps en parfaite osmose avec son esprit pour accomplir des exploits dont on ne se croyait pas capable. Cela nĂ©cessite de puiser en soi des ressources insoupçonnĂ©es, trouver des solutions aux problèmes complexes dictĂ©s par la roche et continuer d’y croire quand plus rien ne semble possible. Quand le jeu flirte de si près avec les limites de nos performances, c’est avant tout le soutien du partenaire qui permet d’atteindre le sommet. L’aventure vĂ©cue ensemble, les Ă©motions comme la peur, le doute mais aussi la joie, les moments de complicitĂ© et de dĂ©passement de soi, nous lient d’une manière particulière et imprègnent notre mĂ©moire de moments inoubliables. Jamais je ne me suis sentie seule fasse Ă mon dĂ©fi. C’est pour cela que j’avais besoin pour ce projet de la personne en qui j’ai le plus confiance, mon partenaire Jim Zimmermann.Â
Grimper en couple est la meilleure thĂ©rapie que l’on puisse espĂ©rer ! Face aux difficultĂ©s, il faut apprendre Ă communiquer, Ă exprimer clairement sa pensĂ©e mais de manière constructive. PerchĂ© Ă 500m de haut, tu ne peux pas juste hurler contre l’autre ou ne plus lui parler. Il faut trouver une solution ensemble pour surmonter les obstacles et atteindre le sommet. Â
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Lors de nos premières montĂ©es dans Fly, chaque mouvement Ă©tait extrĂŞmement difficile Ă exĂ©cuter et j’étais aussi proche de les enchaĂ®ner que d’assister un jour Ă un dĂ©filĂ© de licorne. Mais jour après jour, notre gestuelle s’amĂ©liorait, nous apprivoisions les mouvements et progressions jusqu’à être prĂŞts Ă tenter un enchaĂ®nement.Â
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Commençant Ă grimper Ă 6:30 du matin, nous avons enchaĂ®nĂ© le premier jour les 16 premières longueurs (principalement entre 7b et 7c+), ainsi que la 17ème longueur (8b) juste avant la nuit ! Notre plan Ă©tait ensuite de dormir sur un portaledge puis de grimper les 3 dernières longueurs, dont les plus difficiles, le deuxième jour.Â
Au réveil, je sens mon corps épuisé qui me supplie de renoncer. Le doute s’installe. Un instant, je me laisse submerger par l’envie d’abandonner. Mais Jim trouve les mots pour me soutenir et me donner la force de tout donner. Je me lance une première fois dans la longueur clef (19ème longueur, 8c) et tombe dans la première section difficile. Pas de panique, il me reste un peu de force pour un dernier essai. J’entre dans ma bulle pendant une heure de repos pendant laquelle je calme cette pression qui m’oppresse et regagne confiance en moi. Quand je repars dans cette longueur, dès les premiers mouvements, la peur s’envole. Il n’y a plus que le mur et moi. Je passe le premier crux, mais je sens que mes bras sont explosés. Je continue, me battant sur chaque mouvement contre l’envie de lâcher, secouant les bras sur chaque prise. Je me retrouve dans le dernier crux, à quelques mètres du relais. J’y crois tellement fort, je sens les encouragements de Jim qui me portent, je donne toute la force qu’il me reste...Et je tombe, à une dégaine du relais. La déception et la frustration sont immenses d’avoir touché des bouts des doigts mon objectif sans pouvoir le concrétiser. Les semaines suivantes, la pluie s’abat sur la Suisse, ne laissant aucune chance de tenter un nouvel essai.
Je sens que je dois accepter la possibilité de ne pas réussir mon projet cette année. Peut-être même que je n’y arriverai jamais ? Quand je sors de ma zone de confort en me lançant un défi « impossible », la peur de l’échec provoque parfois une perte de confiance en mes capacités, un sentiment de vulnérabilité qui me font me questionner sur le sens de mes actes. A quoi bon investir autant de temps, d’énergie et ne pas être capable de « ramener la croix » ? Cette petite voix s’immisce alors dans mon esprit : Ai-je visé trop haut ? Ai-je les ressources suffisantes ?
Se lancer dans un projet difficile est un processus parfois compliquĂ© qui pousse Ă explorer ses Ă©motions. Ma manière de gĂ©rer cette pression est de me rappeler qu’au final, enchaĂ®nement ou pas, je fais cela parce que l’escalade me rend heureuse. Et puis la magie dans un projet, le vrai challenge, c’est quand on n’est pas sĂ»r d’y arriver Ă l’avance, quand il paraĂ®t mĂŞme au dĂ©but impossible Ă rĂ©aliser. Cette voie m’aura appris Ă gĂ©rer la frustration de ne pas toujours atteindre mon but rapidement et de garder confiance en moi. La rĂ©ussite de ce projet, c’est avant tout de m’être challengĂ©e, d’avoir enrichi la relation avec mon partenaire d’incroyables souvenirs et de m’être vraiment amusĂ©e. Et puis, je reviendrai !Â
Un grand merci Ă mon partenaire Jim sans qui rien n’aurait Ă©tĂ© possible, Ă Nicolas Falquet pour avoir jumarĂ© des mètres et des mètres pour suivre nos aventures, Ă mes sponsors, et aux ouvreurs de ces 3 grandes voies d’exception (Roger Schäli, Michel Pitelka, Markus Iff, Bernd Rathmayr, Mäx Grossman, Stephan Eder et Matthias Trottmann).Â